dimanche 4 février 2007

The Others

J'avais une prof à l'université qui nous déstabilisait tous. Elle portait sa vulnérabilité à la face du monde, avec la naïveté d'une petite fille.

Nous, ses élèves qui ne la connaissions pas, nous aurions tous pu lui faire mal, et je crois que nous l'avons un peu fait. Voyez-vous, ce n'était pas une très grande oratrice. Elle arrivait, toute petite devant la classe, avec sont teint olive d'Italienne, ses attaches fragiles, ses vêtements un peu trop grands et sa voix un peu trop douce. Avec ça, elle nous assommait souvent de concepts compliqués et de références à des lectures qu'on n'avait pas faites, et lentement, la classe se vidait.

Un jour, je me rappelle, on avait commencé par être une dizaine d'élèves assoupis, puis la pause en avait chassé 7 ou 8... si bien que les deux derniers (c'était des cours de littérature comparée, nous étions une douzaine au plus, les bons jours) étaient gênés pour eux et pour elle, et mal à l'aise devant ce spectacle d'une salle de classe vide comme un bateau déserté par ses rats.

C'est elle qui m'a tout appris à propos de l'altérité et de plein d'autres concepts dont je ne me souviens plus très bien.

Ce dont je me souviens par contre, c'est d'avoir découvert Kenzaburo Oé avec elle, lui qui parlait si bien de la folie des enfants et des hommes. Et Elsa Morante aussi, qui avait écrit un grand roman populaire sur la guerre et l'histoire, du point de vue d'un enfant un peu simplet et d'une femme qui n'était pas belle. Des créatures sans pouvoir, laissées au ban de l'Histoire, à qui elle (re)donne une voix. Petite et insignifiante dans le grand cours des événements, mais une voix tout de même. Toute l'Italie s'est passionnée pour ce roman, sauf les critiques.

Alors je pense un peu à ça quand je lis des choses comme: "Nos ennemis sont aussi déterminés que l'Allemagne nazie et plus déterminés que les Soviétiques. Nos ennemis nous tueront dès qu'ils le pourront." Dit par le républicain Newt Gingrich, à propos de la menace que pose l'enrichissement nucléaire de l'Iran. Je me demande si les grands qui décident, ceux dont la voix est si forte qu'elle ne peut que percer toutes les oreilles à sa portée, ceux qui écrivent l'Histoire, je me demande si ceux-là apprendront un jour quelque chose de celle-ci.

Je leur souhaite de lire Elsa Morante et Kenzaburo Oé, de prendre des cours de littérature comparée avec une prof timide et sensible. Et puis de lire encore.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Jolie révérence à cette petite voix qui porte pourtant si loin... Moi, j'aurai retenu Oé, évidemment, mais surtout Morisson, pour son Oeil le plus Bleu... (et aussi, un peu, nos regards complices, chère DJ Ogo, quand on en avait marre de la littérature et que nos copains nous attendaient à la taverne de la fac!)